Les dix ans du préjudice important

La CEDH nous indique qu’une requête peut être déclarée irrecevable par la Cour si elle ne fait état d’aucun préjudice important.  

Petite dernière des conditions de recevabilité d'une requête, la condition de l'existence d'un préjudice important avait suscité, au moment de son entrée en vigueur en 2010, de vives réactions, tant de la part de la doctrine que des praticiens. S'agissait-il de la première pierre d'un "pick and choose" à l'européenne? Etait-il question de restreindre le droit de recours individuel pourtant reconnu comme fondamental par la CEDH? Signifiat-il une gradation dans les violations des droits, certaines étant exclues d'emblée du contrôle extérieur de la Cour européenne?

Dix ans de pratique plus tard, quelques enseignements peuvent être tirés.

Contrairement à ce que beaucoup craignaient, ce critère n'empêche pas réellement les requêtes d'être examinées par la Cour. Il est rarement activé bien qu'il puisse être soulevé d'office par la juridiction européenne.

A la lecture de la jurisprudence, la notion de préjudice important renvoie à un minimum de gravité, nécessairement contingent et lié aux faits de l'espèce: pour déterminer ce minimum, la Cour prend en considération la nature du droit, l'incidence de la violation et ses conséquences sur la situation individuelle du requérant, le montant en jeu et l'enjeu de la procédure nationale.

Ainsi, la somme éventuellement objet du litige n'est pas déterminante dans la détermination d’un préjudice important. 

Si la somme en jeu est prise en compte, elle est, en tout état de cause, toujours rapportée à la situation individuelle du requérant (tant financière que quotidienne). Un enjeu de 50 euros peut être important pour un individu et non important pour un autre. 

A titre d'exemple, la Cour a pu considérer, au regard des circonstances particulières de l'affaire, qu'une partie qui n'avait pas reçu communication des pièces adverses lors d'un procès n'avait subi aucun préjudice important dans l'exercice de ses droits (ce dernier point est essentiel puisqu'il démontre bien que la notion de "préjudice important" ne se rapporte pas à la somme en jeu dans le procès mais bien aux droits du requérant). Dans d'autres circonstances, elle a jugé que le non-respect du contradictoire avait eu un impact sur le droit au procès équitable du requérant et a donc écarté l'application de ce critère (abstraction faite, à nouveau, de la somme en jeu).

Ce qu'il faut retenir pour la procédure devant la Cour :

  • Statistiquement, ce critère de recevabilité n'est pas le plus fréquemment utilisé. Il n'empêche donc pas l'étude des affaires par la juridiction européenne.
  • Il ne revient pas au requérant de prouver l'existence d'un préjudice important : la Cour relève d'office cette circonstance ou bien le gouvernement défendeur se chargera de la plaider.
  • Si le requérant a des doutes sur l'importance de son préjudice, il lui revient de démontrer, dès l'introduction de la requête, l'impact de la situation sur ses droits individuels qu'il tire de la CEDH pour freiner toute tentation de la juridiction européenne de faire usage de cette condition.
  • Le requérant doit prendre appui sur les deux clauses de sauvegarde pour inciter la Cour à étudier son affaire ou pour répondre à une éventuelle sollicitation du gouvernement défendeur sur ce point.

M.B.


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